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Balais, Onguent de vol et le Gandreidh
Par Nigel Jackson ©, traduction & adaptation Tof
Un hibou hurle dans la sombre forêt venteuse. Alors qu’il fait sombre autour du logis simplement éclairé par de fines bougies, une femme dénoue ses longs cheveux et commence à chanter son appel au maître vêtu de noir et à la Maîtresse sauvage de la Nuit.
Dans les ténèbres vacillantes son chat noir et désobéissant joue alors que l’incantation de la sorcière se répercute dans la pièce. Elle commence alors à oindre son front, ses tempes et la plante de ses pieds avec une plume d’oie qu’elle trempe dans un petit pot d’huile de couleur vert foncé. Elle s’agenouille ensuite sur un balai de bouleau.
La brume tourbillonne lentement et commence à envahir la pièce alors qu’elle entre dans la transe-rêve des esprits de la Belladone. Le chant qui appelle au Sabbat se poursuit alors que son esprit commence à quitter son corps. Ses lèvres murmurent les mots « Cheval et Hattock, au nom du Diable » puis elle enfourche le balai et s’envole par le conduit de la cheminée. Elle monte jusqu’aux nuages et la lumière des étoiles guide la sorcière. La sorcière chevauche dans les ténèbres et le vent, par dessus les champs, par dessus les fleuves et les vallées jusqu’à la grotte de la montagne du Sabbat. Elle se rend ensuite dans le monde du dessous des Neuf Mères.
Cette image traditionnelle du vol nocturne de la sorcière sur son balai, profondément ancrée dans la conscience des européens a des racines très anciennes. Pour la sorcellerie traditionnelle le balai est le symbole du voyage que l’on fait dans l’autre monde, dans les royaumes insondables de l’autre monde. Il est essentiel de comprendre le code magico-poétique employé ici, car dans un contexte chamanique le « vol » est toujours lié à la transe extatique et au déplacement visionnaire de l’esprit.
Le balai est l’emblème mystique de la chevauchée extatique nocturne de ceux qui suivent la Sombre déesse, Dame Holda, Diane ou Hérodias. Ce Mystère chamanique se trouve au cœur de l’ancienne sorcellerie, c’est une forme d’initiation transmise depuis des millénaires en Europe. Les trois essences de bois utilisées habituellement pour fabriquer le balai ont une signification ésotérique. Le manche en frêne pour l’esprit (Anda) et l’air à travers lequel la sorcière passe, le Frêne du Monde Yggdrasill et l’extase chamanique (Odhr) par laquelle ce vol d’esprit est accompli. Le saule qui lie la brosse au manche est là pour la lune et le brouillard autour des lacs qui doivent être traversées pour entrer dans les royaumes de la mort et de la sagesse. Les brindilles de bouleau sont sacrées pour la Dame Blanche, Dame Berchta, la Déesse Terre par qui la sorcière espère atteindre la purification et la re-naissance initiatique.
Par son manche en frêne le balai personnalise l’image mystique du Frêne du Monde Yggdrasil (Le Cheval du Terrible – Odin) et symbolise le vol dans les mondes du dessus et du dessous. Les Chamans Sibériens de la tribu Buryat voyagent à califourchon sur un bâton à tête de cheval qu’ils dirigent comme un coursier magique, on donne rituellement vie à ce bâton avec le sang d’un cheval sacrifié. Dans la cosmologie sibérienne l’univers est vu comme une grande yourte (tente) avec l’étoile polaire fixée au-dessus du trou d’évacuation des fumées. Cette ouverture donne accès aux Autres Mondes lorsque le chaman en transe y voyage.
De la même manière et avec les mêmes intentions la sorcière chevauche son balai et passe par le cheminée dans les traditions du Nord. Dans la mesure où « Frau Holt » est la Mère au Sureau c’est sans surprise que l’on apprend que les sorcières chevauchaient des baguettes de sureau lors de leurs voyages nocturnes. Le sureau a la réputation d’être un « arbre des sorcières ». C’est l’équivalant du corbeau l’Oiseau-Ogham qui symbolise la sagesse de la mort, le vol, et les régions chthoniennes d’Annwyn. Les sorcières écossaises envoient parfois leur âmes sous la forme d’un corbeau, et le mot Gaélique « Badbh » désigne à la fois la corneille noire de Morigane et une sorcière ou une Furie. Les sorcières Portugaises, les bruxsa vont dans le noir sous la forme d’un oiseau nocturne énorme et sinistre et dans le folklore allemand l’Engoulevente (ndt : un oiseau) est appelé la hexe car on pense que c’est sous cette forme que les sorcières tètent le lait de chèvres pendant la nuit. Les sorcières suédoises préfèrent envoyer leur esprit se déplacer dans les airs sous la forme d’une pie.
Dans l’ancienne Scandinavie, la chevauchée aérienne des sorcières était connue sous le nom de Gandreith (« Chevauchée de la baguette »), le gandr étant en ancien Norois le mot désignant la baguette magique ou baguette de pouvoir du magicien. Au 12ème siècle les lois du Vastgotalang faisaient référence à de telles « Myrk-rida » lorsqu’elles disaient :
« Femme, je t’ai vu chevaucher une barrière avec les cheveux défaits et une ceinture, dans la peau (le masque) d’un troll, au temps où le jour et la nuit étaient égaux ».
Le mot Saxon pour sorcière est Haegtessa, qui signifie « cavalier des haies » les haies étant les frontières entre ce monde et le mystérieux Autre Monde qui se trouve au delà des principes de la réalité et de la conscience ordinaires. Le vieux poème Nordois « Havamal » parle des « cavaliers des haies, qui ensorcèlent dans le ciel ».
En Irlande, en 1224, au procès de Dame Alice Kyteler, on a décrit son « tube d’onguent, dont elle se servait pour graisser un bâton sur lequel elle galopait par monts et par vaux ». L’onguent était indubitablement un onguent psychoactif préparé à partir de belladone qui induisait le « vol en transe » de la chevauchée de Mirk. Au 17ème siècle, Praetorius raconte que les sorcières sont appelées « Oiseaux graisseux » parce qu’elles utilisent de telles préparations. En 1608, Guazzo décrit comment les sorcières s’oignent elles mêmes sur certaines parties de leurs corps avec un onguent fait à partir de différents ingrédients malpropre et sale…. « Et ainsi ointes elles sont parties sur un bâton (ou un balai ou un roseau … ou une quenouille) qu’elles chevauchaient. »
Au 17ème siècle, les sorcières écossaises racontaient qu’elles chevauchaient des épis de blés et de pois qu’elles transformaient en chevaux pour aller jusqu’au Sabbat faisant ainsi écho au « cheval bâton »des Buryat. On retrouve la même pratique chamanique dans la tradition mythique finlandaise où le Héros-Magicien Vainamoinen « a pris un étalon de paille, un cheval d’épis de pois » pour aller dans les région de l’Autre Monde. En 1596 on a dit que les sorcières d’Aberdeen avaient exécuté une « danse diabolique, chevauchant des arbres sur une longue distance ». On doit aussi mentionner le cheval de l’ancienne déesse Britannique Andrasta qui était appelé March Maten et était le coursier des sorcières volantes.
L’herbe appelée « herbe de Jacob » est connue pour être partout en Angleterre, le coursier favori des sorcières, et on dit, « est sorcière celle qui chevauche l’herbe de Jacob ». De leur côté les sorcières celtes d’Irlande sont réputées voler sur des tiges d’achillée millefeuilles. Les sorcières chamans magyars, les Taltos, chevauchent un roseau pour voyager dans le ciel. On peut faire un intéressant parallèle avec le déesse aztèque de la lune, de la sexualité féminine, du filage et des carrefours nommée Tlazolteotl. Dans le Codex Fejervary-Mayer, cette déesse est décrite sur un balai, un serpent dans la main et avec un fuseau dans sa coiffe.
Les théologiens et les hommes d’église ont considéré le vol sur un balai comme étant de la lévitation physique rendue possible par le diable. C’était une mauvaise compréhension des Mystères symboliques sorciers dans lesquels le balai est le véhicule intérieur et le symbole du voyage nocturne vers la déesse du Monde de sous Terre, les ailes de la psyché libérée permettant de passer magiquement de ce monde aux royaumes cachés de notre existence.
En conclusion, « chevaucher le balai » c’est voler nuitamment, et passer la frontière entre le Monde du Milieu et l’immensité cosmique d’Annwyyn. L’extase mystique de ceux qui volent sur les sommets doit être redécouverte et ré-éveillée, pour que les compagnons d’Hérodias pénètrent dans ses Mystères les plus profonds, prennent part au Banquet de Sabbat et se désaltèrent à son Chaudron Noir dans les Pays Cachés.