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Si les Sorcières ne volent plus… Le paganisme contemporain et les solanacées, par Chas S. Clifton, traduction Tof. In The Pomegranate 16 / printemps 2001.
Chas S. Clifton enseigne à de l’Université du Colorado du Sud, il dirige la publication de la série « Witchcraft Today » (rien à voir avec le livre de Gerald Gardner), il a coécrit avec Evan John Jones « Sacred Mask Sacred Dance ». Il travaille sur une histoire du Paganisme Nord Américain pour AltaMira Press.
En 1966, lors du solstice d’été, Robert Cochrane (le nom magique de Roy Bowers), une figure importante du retour de la sorcellerie en Angleterre, s’est donné la mort par absorption d’un cocktail de somnifères, whisky et belladone. Certains ont parlé de suicide lié à un désordre mental, des amis à Cochrane pensaient plutôt à une communion rituelle avec les Dieux, alors que d’autres encore penchaient plus pour un sacrifice délibéré sur le modèle du Roi Divin. Ceux qui le connaissaient le mieux voyaient ce suicide comme la suite de son divorce et la fin d’une histoire d’amour.
Quelles que soient les causes de la mort de Cochrane, son influence a persisté. Sa correspondance, au cours des années qui ont précédé son décès, avec un jeune militaire américain a influencé plusieurs traditions américaines en particulier « 1734 » Roebuck et la Moshsian Tradition. Doreen Valiente qui a travaillé avec Cochrane le décrit comme « peut-être la plus puissante et talentueuse personnalité de la sorcellerie contemporaine ».
En un sens, Cochrane est lié aux mésaventures qu’ont connues les utilisateurs actuels des solanacées enthéogènes. Comme la tomate, la pomme de terre, les haricots, les poivrons, la famille des solanacées comprend aussi une variété de drogue dont, par exemple, le tabac. Parmi les solanacées on trouve plusieurs plantes utilisées en magie et chamanisme de l’Asie à l’Amérique. Parmi elles, on peut citer différentes espèces de datura, la belladone, la mandragore et la jusquiame.
En Amérique, aucune de ces plantes n’est illégale, on en trouve parmi les plantes ornementales et elles sont utilisées dans un usage pharmaceutique ainsi que pour la recherche génétique.
La mot enthéogène, qui signifie « trouver le divin en soi » fut développé par trois écrivains : R. Gordon Wasson, Carl A.P. Ruck, et Jonathan Ott. Ott par exemple écrit que l’utilisation du mot enthéogène est « étymologiquement et culturellement approprié et sans connotation négative » si on le compare à des mots comme « narcotique » et « psychédélique ».
La mort de Cochrane est le reflet de toute une série d’expériences avec les solanacées qui ont été associées historiquement avec la sorcellerie européenne selon les minutes des procès en sorcellerie des 15, 16 et 17è siècle. Selon ses proches, Cochrane a fait d’autres expériences moins dangereuses d’utilisation de recette « d’onguent de vol ». Je dis que cet « onguent de vol » (et les autres préparations à base de plantes) représente un lien, vérifiable de manière significative, aux anciennes pratiques chamaniques européennes – peut être ce qu’il y a de plus proche de « l’ancienne religion » de Margaret Murray, mes recherches montrent que les néo-païens nord américains et britanniques les délaissent. Des historiens des religions comme Huston Smith disent pourtant que l’usage rituel de ces substances est à un certain degré essentiel, en nous mettant en contact avec la « sauvagerie sacrée » au cœur de ces traditions modernes basées sur la nature. Sharon Devlin une sorcière californienne a dit à Margot Adler dans les années 70 : « les onguents de vol furent utilisés autrefois. Nos ancêtres utilisaient des drogues. Franchement, la plupart de païens et des sorcières se trompent…. je veux que les gens ouvrent leurs yeux. Les drogues…. Sont une partie essentielle des rites magiques.
Comme le note fort justement Devlin, les enthéogènes de la famille des solanacées sont anciens et on en trouve presque sur toute la Terre. En commentant la représentation de la datura dans l’art de l’Égypte pharaonique l’ethnobotaniste William A. Emboden Jr écrit : Ses propriétés psychoactives sont extraordinaires et une des utilisations les plus courantes de l’expérience de la Datura est le vol mystique, une sensation de sortie de son corps.
La mention par Emboden de vol nous mène aux solanacées que l’on retrouve dans les « onguents de vol » de la période des bûchers ? Au cours du 16è siècle, des physiciens sceptiques ont fait des expériences à partir des recettes d’onguents données par des sorcières. Ces hommes, comme par exemple le physicien Andres de Laguna, ont donné un argument matérialiste contre les affirmations théologiques des tribunaux séculiers et religieux. Contre la croyance que la sorcellerie était un rassemblement d’adorateurs du diable, les sceptiques ont montré que l’onguent de vol induisait une stupeur où l’utilisateur était persuadé d’avoir expérimenté le vol nocturne, des orgies de nourriture et de sexe… Ainsi les poursuivre pour sorcellerie était une perte de temps.
Ce que Andres de Laguna et les autres critiques « rationalistes » des procès de sorcières n’ont pas vu, ou pas voulu voir, c’est l’aspect théologique de l’utilisation des enthéogènes. Ces préparations étant présentées comme risquées par nature, celui qui souhaitera « planer » à des fins récréatives se tournera plutôt vers l’alcool. Comme l’écrit le botaniste néerlandais Peter A. G. M. de Smet : « L’essence de la messe catholique ne peut être assimilée par le paroissien, le vin de messe est préparé à partir de Vitis vinifera L. (Vitaceae) qui contient environ 13 % d’une substance conduisant à l’ivresse (l’alcool éthylique) avant d’être dilué par le prêtre ».
Différentes recettes parcellaires d’onguent de vol nous sont parvenues: dans les années 70, le botaniste et écrivain danois Harold A. Hansen annonça que seules seize recettes pouvaient être fiables. La fiabilité ne signifie pas sécurité; parmi les historiens et les occultistes ayant testé sur eux même ces recettes, au moins l’un d’entre eux en plus de Cochrane, Karl Kiesewetter est mort des suites d’une overdose. La dangerosité de ces recettes combinée avec la tradition pluricentenaire de leur utilisation est le meilleur argument d’une survivance d’une « ancienne religion » prè-chrétienne. Sans une sorte de tradition orale de la préparation et des dosage, similaire à celle des chamans ayahuasca d’Amérique du Sud, le risque aurait été bien trop grand. Les journaux médicaux parlent parfois de passage aux urgences et parfois de mort liée à l’usage de datura ou d’autres solanacées.
Le néo-paganisme a grandi au cours des années 60 et 70 psychédéliques, où l’on était fasciné par les enthéogènes, après l’avoir été au cours des années 50 par la mescaline, le LSD et d’autres substances étaient testées par de rares psychothérapeutes et certains de leur patients ainsi que par quelques chercheurs. Au même moment, en partie suite à la popularité des livres de Carlos Castaneda (qui eux-mêmes suivaient les textes d’Allen Ginsburg et William Burroughs’s sur l’ayahuasca) certains « psychonautes » se sont intéressés aux drogues naturelles, suivant en cela les observations faites au milieu des années 70 par un médecin de Caroline du Nord : « Le retour à la nature prôné par la contre culture fut fortement décrié. Aux côtés des drogues, de la colle et d’un nombre considérable de composants organiques non médicaux (p. ex. le LSD et d’autres enthéogènes synthétiques) la muscade, l’Herbe aux chats, la Prunus serotina ( NDT une plante qui ne pousse qu’en Amérique) et toute une série de graines et d’herbes ont souvent été utilisés, souvent avec des résultats désastreux par une nouvelle génération de testeurs. »
En dire plus sur l’utilisation des enthéogènes contemporains a été compliqué par la guerre contre les drogues appliquée à différents degrés en occident et qui a gêné l’étude des enthéogènes. Cette attitude change remarque le Dr. Albert Hofmann, le nonagénaire suisse inventeur du LSD dans une interview récente : « après des années de silence, il y a eu certaines études scientifiques sur les drogues « psychédéliques » en Suisse en Allemagne et aux Etats-Unis. »
On s’intéresse aux anciennes cultures païennes, on étudie des langues mortes ou marginales comme le Norois ancien ou l’Irlandais, on étudie les sites archéologiques et les artefacts et les textes, et on essaie de reconstituer le passé, mais on ignore l’utilisation rituelle des enthéogènes. Gerald Gardner, qui a écrit le premier livre sérieux sur le renouveau de la sorcellerie, « Witchcraft Today » en 1954 commence ainsi son second chapitre : « il y a toujours eu des sorcières » avec une description de la sorcellerie qu’il fait remonter au Paléolithique. Là non plus Gardner ne dit pas que les enthéogènes ont joué un rôle important dans la religion.
Gardner ne peut ignorer « l’onguent de vol », qui est attesté historiquement, il dit dans Witchcraft Today que les sorcières du moyen-âge connaissaient « certains encens » propices à la clairvoyance et à la vision spirituelle. Au moyen âge, de nombreux ingrédients venaient du moyen orient, mais à la base ces herbes étaient indigènes et certaines d’entre elles étaient des poisons… . L’utilisation de poisons pour entrer en transe ne blesse personne sinon vous-même ».
Au sein de la lignée initiatique gardnerienne, il y a toujours de nos jours une petite utilisation rituelle d’enthéogènes. Un membre âgé, né au Pays de Galles et vivant actuellement au Canada dit : « une des marques distinctives de l’Art Gardnerien est le manque de connaissance des plantes… Ce qui est fait de nos jours est plus proche de l’expérimentation générale… Bowers (Robert Cochrane) fut un de ceux qui fit ce genre d’expériences. Ronald Hutton historien à L’université de Bristol et auteur de « The Triumph of the Moon: A History of Modern Pagan Witchcraft » a dit que la seule preuve que Gardner et les siens utilisaient des champignons ou un autre enthéogène vient de ce qu’à dit Louis Wilkinson au sujet du New Forest coven de Gardner et rapporté par Francis King dans « Ritual Magic in England ». Contre cette affirmation, Hutton a dit: « Cette hostilité à la prise de drogue a été exprimée par Gardner dans la partie concernant les huit voies de la magie du Livre des Ombres. Ce peut bien sûr être le reflet de désillusions plus que d’une opposition de toujours, mais on constate aussi cette opposition dans son autobiographie fantôme « Gerald Gardner: Witch » où il montre qu’il en a vu les effets dans les colonies. Cochrane et « Taliesin » étaient plus indomptés ».
Comme on peut le lire dans ses lettres et dans les souvenirs de ceux qui l’ont connu, Robert Cochrane avait une vision moins dogmatique que Gerald Gardner de la sorcellerie. Comme l’a dit Cochrane lui-même il était sous « influence poétique » et affirmait être l’héritier des gitans, des chuchoteurs et d’une lignée de sorciers ruraux anglais.
Il ritualisait dans des grottes ou au sommet des collines, et on trouve dans ses lettres des références à l’amanita muscaria et au vin de belladone. Selon ceux qui l’ont connu, sa mort a découragé les membres de son coven à utiliser les enthéogènes traditionnels, ils se sont tournés vers des méthodes physiques d’induction de la transe au travers de rituels, de danse et de masques.
Les païens nord américains se montrent timides face aux enthéogènes eurasiens (y compris l’Amanita muscaria). Cette attitude est liée à la désapprobation de la société au sujet des drogues illicites (même si les enthéogènes naturels sont pour la plupart légaux), ou peut être est-ce lié aux conséquences de leurs utilisations par certains néophytes. Les écrivains païens (les sorcières aussi bien que les Asatru et les païens en général) emprunte les mots et les concepts des anthropologistes comme Carlos Castaneda ou Peter Furst plutôt que ceux des utilisateurs médiévaux ou modernes des utilisateurs des onguent de vol rejetant ainsi toute imagerie chrétienne. Comme l’a écrit un des membres de la plus importante mail list païenne : « Travailler avec une plante sœur est probablement plus dangereux que d’essayer une drogue. Je ne pense pas que le préjugé contre les drogues (dans la communauté païenne) n’est basé que sur un malentendu… Je pense que c’est plutôt une manifestation d’une « conscience tribale » qui permet de réaliser que c’est de la responsabilité de tous, et que si une personne prend des drogues cela affectera aussi le reste ».
Plus simplement, le divorce entre le paganisme contemporain et les enthéogènes traditionnels est plus le reflet de la rupture entre l’herbalisme médical et culinaire et l’herbalisme chamanique, une séparation qui provient des botanistes savants de la Renaissance. La botanique contemporaine s’inspire d’une tradition établie au 16è siècle par le botaniste John Gerard qui a mené une croisade contre la belladone et qui avertissait ses lecteurs ainsi : « Chassez cette plante maléfique de votre jardin, de tous les endroits proches de votre maison, ou de ceux où l’on trouve des enfants ou des femmes avec enfants, ses magnifiques baies noires pourraient aiguiser leur appétit ». Jack Prairiewolf un sorcier contemporain de l’Indiana affirme avoir une affinité spéciale avec la belladone ou la mandragore dit : « Tous les païens (malheureusement) urbains de ce monde ne connaissent pas les plantes ou les plantes vénéneuses en particulier. Ces gens qui s’intéressent aux plantes se spécialisent dans les herbes, les fleurs, les plantes comestibles, ou les arbres, etc… au lieu de s’intéresser aux plantes au pouvoir envenimé. »
En vérité, le travail sur ce qu’on nomme « l’herbalisme magique » d’écrivains populaires wiccas comme Scott Cunningham et Paul Beyerl nous met en garde contre les enthéogènes végétaux. Un pratiquant de longue date de Berkeley en Californie participait à une classe sur la fabrication de onguent de vol et m’a raconté que même si les solanacées étaient évoquées, les recettes principales étaient à base d’huiles essentielles et d’extraits de fleurs avec parfois un peu de jusquiame. Une autre recette qui circule ne contenait pas de solanacées, mais l’armoise, une plante qui traditionnellement aide à rêver, aussi bien que de la Scutellaire et de la laitue sauvage.
L’intérêt pour les enthéogènes traditionnels est partagé par une minorité de groupes norois ou sorciers qui se considèrent comme chamaniques. Selon l’asatru Susan Granquist de Seattle les discussions sur les enthéogènes ne sont pas rares sur sa mail list, ASATRU-L. Mais ce groupe est minoritaire dans la communauté païenne ou sorcière, où selon Jack Prairiewol : « ce type de pouvoir dont on discute ici n’intéresse pas la plupart des mouvements païens contemporains. Ils n’aiment pas ce qui est sauvage ou en ont peur, et il en est de même pour tout ce qui est noir…. Lorsque tu parles de l’utilisation magique des poisons végétaux, les wiccas « bambi » coupent rapidement court. Ils préfèrent parler de douceur et d’un monde plus léger. Montre leur une lueur de l’Ancienne Sauvagerie et ils s’effraient. Ils vont hurler que travailler avec une plante qui peut être vénéneuse est mauvais (même si la plupart des remèdes mal utilisés sont des poisons). Je pense que cela provient en partie de notre société, et en partie aussi de la peur de ce qui est si puissant et terrifiant. Je pense que ces plantes sont là depuis des millions d’années pour certaines d’entre elles, elles sont là depuis plus longtemps que la race humaine… . Certains néo-païens ne peuvent pas l’admettre. »
Une autre raison qui explique que les païens d’Amérique du Nord n’emploient que peu les enthéogènes est, selon moi, la forte proportion d’allergiques à toutes sortes de produits. Cela explique aussi que de plus en plus souvent lors d’un rituel on se passe un calice sans alcool.
On peut séparer les sorcières et autres païens qui parlent de plantes sœurs, d’esprits, ou de fées de ceux qui disent comme les botanistes qu’il n’y a pas d’esprit des fleurs, mais ont une attitude plus « médicale » où l’on dit par exemple « la mandragore est bonne pour xxxx ; la myrrhe purifie, la noix de muscade favorise les visions … »
Robert Brown et Jack Prairiewolf suggèrent que les païens urbains qui s’intéressent aux plantes ne considèrent pas les plantes qu’ils utilisent comme des êtres vivants ayant un cycle de vie, mais plus comme des ingrédients « utilisés pour xxxx » comme le font Cunningham et Beyerl dont il a été question plus haut.
A partir de cela et d’autres entretiens, je suggère que les païens contemporains s’intéressant aux enthéogènes ont une approche plus « chamanique » que « cléricale » et comme le dit Robert Brown ils se décrivent eux même comme plus proches de la nature que de la société humaine. Ces gens auront plus tendance à lire les écrits des anthropologues que des fictions où les reconstructions historiques dont sont friands les Néopaïens d’Amérique du Nord.
Ces païens qui utilisent les enthéogènes traditionnels n’en parlent pas facilement. Trop de ces substances ont été assimilées à des « drogues légales » dans une société pour qui les drogues sont des pilules et des cachets. L’utilisation d’enthéogènes traditionnels avec ses à-côtés parfois négatifs n’est pas revendiquée par les autoproclamées sorcières. Malgré leur récupération des victimes du « temps des bûchers », la majorité des sorcières et autres païens contemporains tournent le dos à ce qui peut être le lien vers une des plus anciennes pratiques chamaniques: l’utilisation des enthéogènes traditionnels eurasiens.