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Extrait du livre : Witchcraft and Secret Societies of Rural England: The Magic of Toadmen, Plough Witches, Mummers, and Bonesmen. Par Nigel Pennick. Traduction et adaptation : Lune.
Dans toute l’Europe, les traditions et légendes incarnent le principe selon lequel l’ordre spirituel, dans les affaires humaines, découle de la compréhension du fait que la terre a une âme. Depuis l’Antiquité, il a été enseigné qu’une conscience spirituelle attentionnée et respectueuse de la terre est synonyme de paix et d’abondance, d’une société fondée sur la bienveillance, la fécondité des troupeaux et un sol fertile. Naturellement, les relations traditionnelles des gens à la terre sont basées sur les activités de la vie quotidienne. Les différents climats et types de paysage donnent à chaque lieu son caractère, la chasse et l’agriculture ses rites et cérémonies, ses fêtes et ses dieux. Quiconque vit près de la nature comprend son unité avec le monde.
Au nord et à l’est de l’Est-Anglie, il existe une croyance selon laquelle chaque village possède ses propres sprites gardiens (ndlt : sprite désigne un elfe ou une fée, un esprit follet, c’est aussi la contraction de spirit qui veut dire esprit) qui se réunissent pour former un groupe protecteur appelé the Ward (ndlt : la Garde). Les sprites Ward sont des êtres bienveillants qui protègent, de nuit, un village ou une ville des problèmes intérieurs ou des dangers extérieurs. Chaque soir, au crépuscule, les sprites Ward se rassemblent en un lieu particulier, à la lisière du village, généralement sur une colline de garde (ndlt : ward hill), puis empruntent certains sentiers pour se rendre sur leurs sites de surveillance. Les traditions de toute l’Europe septentrionale rapportent que certains chemins sont des lieux où les humains ne sont pas les bienvenus à certains moments parce que les esprits les empruntent alors. Ces chemins peuvent être réservés aux Bonnes Dames et à la Princesse de l’étoile brillante, considérées comme des fées (ndlt : fairies dans le texte), appelées « fairises » à l’est de cette région. D’autres sont fréquentés par Gabriel Ratchets, le Chien Noir, la Chasse Sauvage ou pire encore.
Certains disent que les sprites Ward sont les esprits gardiens de chacun des villageois vivants et morts. Les sites de surveillance des sprites sont des lieux de halte reconnaissables dans le paysage : des buttes, des rochers, des sanctuaires, des croix et des arbres sacrés près des routes et sentiers qui mènent ou partent du village. La nuit, si elle bénéficie de la reconnaissance et du soutien des humains, la Garde crée un cercle spirituel protecteur autour du village, offrant une protection contre les attaques psychiques des royaumes humains et non humains. Mais la Garde de chaque village n’est quasiment plus reconnue de nos jours.
Les sprites bienveillants qui ne se rassemblent pas pour former la Garde sont des hytersprites. Les lieux où ils résident sont agréables et accueillants. Les endroits néfastes de la région où les humains se sentent intuitivement attaqués psychiquement sont habités par des yarthkins maléfiques. Ce sont des esprits de la terre qui expriment une hostilité positive à toute intrusion humaine.
Contrairement aux hytersprites, les yarthkins ne peuvent être apaisés par des offrandes qu’on leur présenterait de belle façon. De telles offrandes ne feraient que renforcer leurs mauvaises intentions. En plus des endroits habités par les malveillants yarthkins, il existe certains lieux dotés de « présences invisibles » qu’il n’est guère plaisant de rencontrer. Les légendes locales désignent chaque lieu d’un nom spécifique, même si sa nature est imprécise. À l’époque païenne, les lieux occupés par des esprits aussi malfaisants et hostiles étaient simplement laissés en paix, mais lorsque les terres commencèrent à être achetées et vendues comme des biens précieux, les anciennes traditions de vénération des lieux ne furent pas perpétuées. Ainsi, de façon à exploiter efficacement ce type de lieux, on développa des techniques capables d’empêcher ou de défaire l’influence maléfique des yarthkins.
En Est-Anglie, les arts traditionnels des cunning men qui s’occupent de telles choses emploient des pièges à sprite, des pierres de blocage, des bâtons, des œufs et des miroirs (Pennick [1995] 2004). L’inconvénient dans l’art de bloquer et piéger les esprits est que l’on doit renforcer régulièrement les précautions prises, sans quoi les effets néfastes réapparaîtront après un temps. La terre est spirituellement morte là où l’on ne prête pas attention aux esprits serviables de la terre ou là où ils ont été délibérément chassés. En Est-Anglie, cet état peu souhaitable rend la terre gaste (ndlt : en ancien français, dévastée, ravagée…) Dans l’Islande païenne, le mot employé était álfreka et il s’agit du terme technique commun utilisé en Grande-Bretagne par les praticiens d’aujourd’hui. Il est clair que de tels lieux, dont ne prennent plus soin leurs gardiens spirituels, deviendront inévitablement stériles et des actions mauvaises y seront perpétuées. C’est l’état de nombreux endroits aujourd’hui.
Un état de sainteté existe lorsque la nature spirituelle innée d’un lieu se manifeste sous une forme physique, visible. On a décrit l’ancienne conception traditionnelle du divin comme une religion organique. Les anciennes traditions d’Europe reconnaissent les esprits gardiens des champs et des troupeaux :
- les esprits de la terre ;
- les sprites des cultures, des arbres, des eaux ;
- les protecteurs spirituels des voyageurs et des marins ;
- les bêtes surnaturelles comme les trolls, les monstres aquatiques, les loups-garous, les chiens fantômes et les dragons ;
- les personnifications des maladies et de la mort ;
- et les démons qui portent malchance.
Les lieux sacrés ancestraux (les propriétés familiales, les tertres funéraires, les tombeaux et les champs de bataille) sont révérés comme ceux des esprits des ancêtres. Ce sont des endroits où les gens peuvent faire l’expérience des états transcendants de conscience intemporelle, recevoir l’inspiration spirituelle et accepter la guérison. Tout cela se manifeste sous la forme de qualités spirituelles innées de lieux que les Romains définissaient comme le genius loci, l’esprit du lieu.
La compréhension de la nature de ces esprits varie d’un endroit à l’autre, d’une époque à l’autre. Jusqu’à l’arrivée du christianisme en Europe, il n’existait aucune barrière philosophique entre les nobles êtres célestes et les êtres spirituels terrestres de moindre importance, comme les dryades et les land wights. Il était reconnu que le paysage spirituel était partout peuplé d’esprits. Les esprits de la terre étaient considérés comme faisant partie intégrante du continuum dans lequel les rochers et le sol, les plantes et les animaux, le vent et la pluie, ainsi que les humains apportaient leur contribution en tant que cocréateurs de la vie sur terre. Concentrée sur les cultes locaux et les sanctuaires, cette sacralité indigène fut anéantie par la nouvelle religion chrétienne qui focalise sa dévotion sur les lieux saints d’un autre continent. Les ecclésiastiques ont délibérément tenté de détruire cette compréhension ancestrale du paysage sacré, la catégorisant comme païenne et la considérant comme une ennemie de leur religion. Dans ses lois connues sous le nom de dooms, Knut le Grand, roi du Danemark et d’Angleterre de 1020 à 1023 de notre ère, a dit :
“Le paganisme consiste… en ce qu’ils vénèrent des dieux païens, ainsi que le soleil ou la lune, le feu ou les rivières, les sources ou les pierres, ou toute sorte d’arbres de la forêt. »
En dépit de cela et nombre d’autres actes de persécution, de nombreuses croyances et pratiques n’ont pas été détruites et ont en outre survécu jusqu’à aujourd’hui, au sein des traditions locales. La communion directe avec l’esprit de la terre est plus puissante que tout ancien texte écrit par les humains, quand bien même on le croirait divin.
Les préceptes universels de spiritualité nous disent que tout ce que nous faisons a une conséquence et ainsi nous devons en avoir conscience. Les traditions géomantiques de l’Orient et de l’Occident nous expliquent également que, lorsque nous modifions l’environnement, nous perturbons le flux naturel de l’esprit et à moins d’agir en conscience et en connaissance de cause, nous en subissons les conséquences involontaires. La connaissance des méthodes usitées permet aux individus et groupes d’acquérir et d’exercer le pouvoir sur autrui. Les magiciens « qui plaçaient le crapaud » sur quelqu’un connaissaient les lieux précis où enterrer les os afin que la personne envoûtée soit touchée le plus durement possible. Et depuis sa création, l’église s’est approprié les endroits sacrés et les lieux de pouvoir appartenant à d’autres systèmes spirituels. En 1972, l’évêque d’Exeter en Angleterre a fait paraître un rapport intitulé « Exorcism ». Il s’agissait de l’avis publié d’un conseil, convoqué par les évêques de l’Église d’Angleterre, présidé par le célèbre exorciste bénédictin Dom Robert Petitpierre et par souci d’œcuménisme, un exorciste jésuite de premier plan en faisait partie (Mortimer 1972).
Bien qu’il ait été peu remarqué en dehors des cercles ecclésiastiques à l’époque de sa publication, il s’agit d’un document marquant qui concerne la géomancie pratique et les pratiques magiques liées aux lieux. Le rapport est un manuel d’exorcisme de personnes et de lieux, qui comporte une analyse et des recommandations destinées au clergé anglican. Les commentaires sur les lieux de la part du conseil épiscopal sur les localités sont d’un grand intérêt. Ils distinguent trois sortes de forces pouvant opérer à un endroit donné :
- Celles qui sont complètement humaines,
- celles qui sont impersonnelles
- et celles qui sont démoniaques.
Ils ont désigné diverses sortes d’endroits où peut se produire une « tension », c’est-à-dire une perturbation surnaturelle d’un genre ou d’un autre. Ce sont des lieux où se trouvent les âmes de défunts (des fantômes à proprement parler) ou là où se produisent des phénomènes surnaturels de poltergeist, d’asportation, de lévitation et autres. Il peut s’agir d’endroits qui contiennent des souvenirs, qui portent la trace psychique d’agissements personnels antérieurs ou qui répètent un événement de quelque manière (Mortimer 1972, 21–22). Celles-ci ont rarement plus de quatre cents ans, nous dit-on.
Le conseil de l’évêque d’Exeter a affirmé que certains incidents sont des « hantises » créées délibérément par des magiciens et ils ont raconté qu’une maison ou un site qui sont utilisés pour des « inconduites sexuelles » (souvent à la campagne, sur d’anciens sites de culte à la fertilité) génèrent également ces énergies (Mortimer 1972, 21). Ils ont également établi que l’office d’une organisation dédiée à la cupidité et à la domination agit comme un « centre de dissémination » de perturbations parapsychiques (Mortimer 1972, 21). Enfin, ce que le conseil a décrit comme une « interférence démoniaque » est courant sur les sites profanés tels que les sanctuaires en ruines :
« Ce type d’activité et celui des magiciens redynamisent fréquemment d’anciens sites celtiques tels que les tumuli, les cercles et les sanctuaires « sentier-du-serpent » (ndlt : « snake-path » shrines), et provoquent ainsi une sensation générale ‘d’effervescence’ ou de tension ».
Ce rapport reste la principale réflexion à propos des lieux magiques au sein de l’Église d’Angleterre.
Dans la tradition européenne, il existe des enseignements à propos des locus terribilis. Un locus terribilis est un lieu où les êtres humains n’ont jamais été les bienvenus et ne devraient jamais faire intrusion. Ce sont les no-man’s-lands qu’autrefois et dans le monde entier on reconnaissait comme tels (Pennick 2006a, 46). Ce ne sont pas des lieux intrinsèquement mauvais, mais simplement où la présence humaine est malvenue. Comme il n’est pas très judicieux d’entrer dans le cratère d’un volcan en activité, pénétrer dans un locus terribilis c’est courir un risque mortel. C’est pourquoi, the Devil’s Plantation, la plantation du diable (c’est également le titre du grimoire que possédait Daddy Witch, à Horseheath) est un de leurs noms. Les imprudents qui entrent en de tels lieux sont condamnés : ceux qui le font courent un terrible danger, car même s’ils s’enfuient vivants, ils resteront marqués pour toujours. La nature spirituelle du locus terribilis est de ravager l’esprit et le corps des humains, non par vengeance, mais comme la conséquence impersonnelle et inexorable de leur présence à cet endroit. Ceux qui franchissent la limite, qui dépassent les bornes, ont choisi de le faire et en subiront les conséquences.
Tiré du chapitre : Geomantic Traditions and the Magic of Place