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Par Artus.
À notre époque, nous avons beaucoup de mal avec le concept de religion. De nombreuses personnes se disent wiccans, mais ne veulent pas entendre parler de divinités. Plutôt que de se reconnaître dans la wicca, d’autres préfèrent parler de sorcellerie séculière. Mais au fond, c’est plus compliqué. Pour pas mal de monde, le divin exerce à la fois un attrait et une répulsion. Bien des gens sont curieux, mais en même temps, ils ne savent pas trop où se placer. Ils éprouvent une certaine honte à l’idée d’être religieux.
Il faut reconnaître que les personnes religieuses, aussi bien dans la wicca que dans les autres religions, ont tendance à partager des croyances absurdes, d’un autre temps. Les gens qui se prétendent rationalistes ou défenseurs de l’athéisme mettent en avant l’idiotie de ce discours religieux et en font une généralité. Leur point de vue représente la croyance dominante de notre époque. Ils appellent les personnes religieuses, « les croyants ».
Selon eux, le divin est une fiction créée par l’homme. Mais leur réflexion est hors sujet et ne parle qu’aux gens qui ne se sont jamais intéressés à la théologie. Cela fait près de deux millénaires et demi que cette question a été réglée. Lorsque les Grecs ont inventé la théologie, c’était justement pour réfléchir à la réalité cachée derrière leur mythologie. Pour toute personne qui s’intéresse un peu à la théologie, il est évident que le théisme, c’est-à-dire le divin tel qu’il est révélé dans les religions, est une fiction. Mais il s’agit d’une projection de l’humain dans le divin et cela peut nous conduire à une réalité plus profonde.
Personnellement, je ne me reconnais pas dans le portrait que les défenseurs de l’athéisme peignent de la personne religieuse. Je ne suis pas un croyant. Je crois beaucoup moins de choses que la personne moyenne. Je multiplie les expériences intérieures. J’explore les recoins de la psyché. Et j’essaye de mettre des mots sur mes expériences. Une personne athée est finalement bien plus croyante que moi parce qu’elle a fixé son jugement sans jamais explorer sérieusement sa psyché.
Parmi ces gens qui se prétendent rationalistes, on trouve régulièrement des personnes qui viennent du monde de la religion. Mais ces personnes n’ont fait qu’adopter des croyances absurdes. Elles n’ont jamais été véritablement religieuses. Forcément, leur expérience médiocre les a déçues et aujourd’hui, elles tapent sur la religion. Mais elles ne font que fustiger inconsciemment leur propre stupidité. Elles n’ont jamais trouvé la voie, alors elles prétendent qu’elle n’existe pas.
Mais alors, c’est quoi une personne véritablement religieuse ? Ce qui différencie une personne religieuse d’une personne non religieuse, c’est sa manière d’appréhender l’amour.
Dans le banquet de Platon, Socrate décrit l’amour d’une manière assez sinistre. Selon lui, l’amour est passion et la passion est manque. Donc, lorsque le manque est comblé, il n’y a plus d’amour. Ce qui signifie que l’amour est la source d’une perpétuelle frustration. Si vous avez fait des études jusqu’en terminale, vous avez forcément appris cela en cours de philo. Généralement, on ne nous a pas appris les subtilités du vocabulaire grec. Ce qu’il faut savoir, c’est que Socrate ne parle pas d’amour dans un sens général, mais seulement de l’éros. Comme le mot « éros » a donné « érotisme » en français, nous avons tendance à comprendre ce concept de travers en pensant qu’il désigne l’amour charnel. En réalité, l’éros a un sens bien plus vaste. Et l’amour charnel n’est pas forcément du domaine de l’éros. Le mot qui traduit le mieux « éros » en français est probablement « névrose ». La névrose, c’est lorsque nous courrons après quelque chose et que nous ne sommes pas satisfaits en l’obtenant. Alors, nous courrons après une nouvelle chose.
Mais il existe également un autre amour plus mature, la philia. Nous avons tendance à croire que la philia désigne l’amitié, mais cela est encore faux. Selon Aristote, la philia est l’amour que nous portons à une personne pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle peut nous apporter. On pourrait traduire ce mot par affection. On retrouve cette idée d’un désir mature chez les stoïciens. Je n’ai plus les citations en tête. En s’inspirant des stoïciens, Saint Augustin affirme que le bonheur consiste à continuer d’aimer ce que l’on a. Il s’agit également d’amour philia, étendu au-delà des relations humaines. Lorsque bien plus tard, Spinoza affirme que le désir est la puissance de l’être, il s’agit également du désir mature, propre à la philia, qui s’oppose au désir immature tel qu’il est vu par Socrate.
Les débuts de relations amoureuses sont généralement motivés par l’éros, c’est-à-dire une passion dévorante qui conduit à la frustration. Lorsque la relation survit à cette épreuve, c’est parce que la phillia prend le relais. C’est pour cela que je disais plus haut que l’amour charnel n’est pas forcément du domaine de l’éros. Il existe un amour charnel propre à la philia. D’ailleurs, lorsqu’une relation amoureuse persiste dans le temps, elle ressemble à une amitié avec du sexe. La passion dévorante a été remplacée par une passion plus raisonnée. Comme dans notre civilisation sans religion, nous ne sommes pas éduqués aux choses de l’amour (et que notre langue barbare manque cruellement de vocabulaire pour parler de tout cela), bien des gens se séparent à cause de ce phénomène en pensant que quelque chose ne tourne pas rond dans leur relation. Pourtant, ils ont accédé à une version de l’amour plus mature que l’éros, mais ils ne savent pas la reconnaître. Ils veulent encore de la passion dévorante. Certaines personnes ne connaissent que l’éros et c’est pour cela qu’elles multiplient les relations sans jamais trouver la satisfaction. Dans un monde sans religion, c’est en réalité un phénomène très courant.
Éros et philia sont des formes d’amour conditionnelles. Éros est motivé par le manque affectif. J’aime l’autre parce que j’espère qu’il va satisfaire mes besoins. Philia est motivée par le narcissisme. J’aime l’autre parce qu’il me ressemble. Il existe une forme d’amour encore plus mature. Il s’agit de l’agapè. Pour accéder à l’agapè, il faut comprendre que l’amour est une activité autotélique. Cela signifie qu’elle n’a pas besoin d’une récompense extérieure pour être satisfaisante. L’amour est la récompense. Le mot « agapè » a été popularisé par les chrétiens. Mais en réalité, le concept existait bien avant le mot. Quand le Lévitique dit « aime ton prochain comme toi même », il s’agit bien entendu d’amour agapè.
Un athée est tout simplement quelqu’un qui a uniquement accès à des formes mondaines d’amour. Il connaît l’amour éros. Dans le meilleur des cas, il accède à l’amour philia. Mais il ignore l’amour agapè. Et une personne religieuse, c’est quelqu’un qui s’invente des amis imaginaires pour transcender les limites de l’amour mondain et explorer l’amour agapè.
Les neurosciences ont démontré que certaines pratiques comme la prière possèdent un effet stimulant sur le noyau accumbens. Le noyau accumbens est lié au circuit de récompense du cerveau et intervient dans l’effet placebo. Cela explique pourquoi, lorsqu’elle est correctement pratiquée, la religion rend plus heureux. Cela explique également que des guérisons « miraculeuses » peuvent se produire dans un contexte religieux. Les rationalistes ne devraient pas combattre la religion. L’être humain est biologiquement fait pour être religieux. Un vrai rationaliste devrait se demander quel est le moyen le plus efficace pour stimuler le noyau accumbens en pratiquant la religion.