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Retour au menu « les propos de Gardner ». Traduction et adaptation : Lune.
Tradition
Il [Gerald Gardner] pensait que le contact, au sens mystique, entre l’Égypte ancienne et les Grecs pourrait éventuellement expliquer les ressemblances entre les cultes. Un courant d’enseignement pourrait s’être étendu de l’Égypte à l’Afrique de l’Ouest et même jusqu’à l’Europe. Selon la tradition des sorcières anglaises, a-t-il remarqué, le culte viendrait de l’Est : du Pays de l’Été. Parallèlement, observe-t-il, il est possible que les pratiques sorcières aient été amenées très tôt par les sorcières en Afrique de l’Ouest, afin d’échapper aux persécutions européennes.1
Bien sûr, la pratique proprement dite de la sorcellerie s’est maintenue. Les différents covens ont continué leurs assemblées et perpétué leurs rites comme ils l’ont fait depuis la préhistoire (d’après leur enseignement traditionnel).2
« Ce qui m’intéresse », écrivit-il [Gardner] dans le numéro du printemps 1955 de l’English Digest, « c’est que de nombreuses personnes se rencontrent chaque année et célèbrent les rites sorciers parce qu’elles y croient. »3
À ce jour, les sorcières conservent ces traditions : la flamme sur l’autel et le couteau rituel avec lequel le cercle magique est tracé. Leur origine pourrait bien remonter au tout début de la civilisation humaine.4
Les quatre talismans magiques que les Tuatha dé Dannan, les anciens dieux irlandais, ont apporté avec eux en Irlande étaient : l’épée de Nuada, la lance de Lugh, le chaudron de Dagda et la pierre de Fal. Lesquels sont analogues à l’épée, la baguette, la coupe et le pentacle et qui composent ce qu’A. E. Waite a appelé « les quatre symboles primaires du Tarot. » Et l’épée de Nuada, « dont personne n’a jamais échappé au coup ni ne s’en est jamais remis », n’est autre que l’épée de l’ancien Dieu de la Mort lui-même, laquelle est encore portée symboliquement par son représentant au cours des rites de sorcellerie.5
Il existe une histoire chez les habitants de la New Forest selon laquelle les sorcières ont l’habitude de danser autour d’un certain arbre de la forêt, appelé le Naked Man [ndlt : l’homme nu]. Peu d’entre eux croient que la légende est vraie : et pourtant les sorcières y dansent toujours ! « L’arbre a été abattu juste après la guerre. Mais j’ai entendu dire qu’elles utilisent toujours le site. »6
Par ailleurs, les preuves que donne Boissier montrent également que : les personnes qui assistaient aux sabbats étaient nues ; pour la plupart, les sorcières étaient celles qui venaient de familles sorcières et qui avaient été instruites par leurs parents ; celles, souhaitant se glisser hors de leur maison sans être vues pour assister au sabbat, avaient pour habitude de passer par les immenses cheminées traditionnelles ; trois « marques » étaient données aux sorcières à trois différents moments, mais seules les plus anciennes avaient les trois, qui « faisaient d’elles des magiciennes » (c’est-à-dire les « trois degrés » modernes) et que les sorcières effrayaient les gens en imitant la chasse sauvage pour les tenir éloignés de leurs lieux de rencontre. J’ai consigné tout ceci dans mon livre précédent, Witchcraft Today, tel que me l’avaient raconté les survivants actuels du culte des sorcières, avant même que le livre de Boissier, plutôt rare, n’entre en ma possession et que j’entende parler de lui.7
Pas un instant je ne souhaite donner l’impression que les sorcières sont des personnes plus éthiques que les autres. Je pense que lorsqu’elles sont attaquées en premier lieu, elles ripostent. Mais les « sorcières réellement initiées » sont peu nombreuses à la différence de la « Congrégation ». L’Église dans son ensemble était une force puissante et intelligente, qui savait frapper vite et, dans une certaine mesure, se protéger de la magie. Selon la tradition des sorcières, pour une sorcière des milliers de personnes ont été torturées et brûlées ; et à chaque fois qu’une sorcière ripostait, des milliers d’autres gens étaient martyrisés.
Les sorcières se sont rencontrées et ont décidé ceci : « nous ne pouvons pas lutter contre cette terreur, à chaque fois que nous répliquons des milliers de personnes sont massacrées, nous cacher est la seule façon pour nous de survivre, sans jamais causer de mal à quiconque, peu importe le tort qu’on nous a fait, et ensuite, avec le temps, on nous oubliera. » Grâce à une propagande adroite, elles ont ainsi donné à la sorcellerie une image amusante : une vieille femme volant sur un balai avec un chat noir et ainsi, peu à peu, elles ont été oubliées, toutes les lois contre elles ont été abrogées dès qu’il fut connu qu’elles étaient inoffensives. 8
Une autre façon dont les artisans britanniques d’autrefois préservaient les signes et les symboles de l’Ancienne Religion consistait en leurs fameuses « marques de maçons » qu’ils utilisaient pour marquer les pierres qu’ils taillaient.9
Au bon vieux temps, lorsque vous vous éloigniez la nuit d’un demi-mile du village, vous pouviez être sûr que personne ne vous espionnerait, car tous ceux qui ne faisaient pas partie de l’Art avaient peur de sortir dans le noir. Il était possible d’exécuter les anciennes danses, avec beaucoup de musique, de crier les appels, de scander les chants et de faire tout le bruit que vous vouliez.
Mais de nos jours, vous devez pratiquer dans de petites pièces, où vous ne pouvez pas faire le moindre bruit sans que les voisins ne se plaignent. En conséquence, les anciennes danses ont été oubliées. La danse dans le cercle peut continuer à être exécutée, tant que vous dansez tranquillement, mais les appels (de longs cris aigus, qui vibrent et épouvantent) ne peuvent plus être utilisés. La danse en spirale ou danse de rencontre est parfois accomplie s’il y a de la place. C’est une danse du style « suivez le chef10« , conduite habituellement par la prêtresse qui l’exécute en formant une spirale dextrogyre dirigée vers le centre, ensuite elle se tourne tout à coup et déroule la spirale. Ce faisant, elle embrasse chaque homme qu’elle rencontre et toutes les autres filles font de même.
Elles disent que cela s’appelle la danse de rencontre parce qu’autrefois, les gens venaient de régions éloignées, ils ne se connaissaient pas et qu’elle a été conçue pour les présenter les uns aux autres. Mais un homme m’a raconté qu’il l’avait dansée dans la salle paroissiale lorsqu’il était enfant ; il peut donc s’agir simplement d’un ancien jeu d’enfants que les sorcières ont adopté ou inversement. De nos jours, la seule musique dont elles peuvent disposer est celle du gramophone, ou parfois celle d’un sistre, d’un hochet ou d’un petit tambour, joué doucement.
Il y a quinze ans, j’ai entendu de nombreux anciens airs. Malheureusement, je ne connais rien à la musique et je ne les ai pas retenus.
Elles m’ont montré un tour étrange avec de la musique que j’ai décrit dans mon roman High Magic’s Aid, au chapitre intitulé « Music Magic ». Elles m’ont dit pouvoir me rendre fou de rage ; je n’y croyais pas alors elles m’ont fait asseoir, elles m’ont attaché à une chaise afin que je ne puisse me lever. Ensuite, l’une d’entre elles s’est assise face à moi en jouant sur un petit tambour ; ce n’était pas une mélodie, juste un tom-tom-tom régulier. Au début, nous avons ri et discuté… Cela m’a semblé durer longtemps, mais je pouvais voir l’horloge et je savais que ce n’était pas le cas. Le tom-tom-tom continuait et je me suis senti ridicule ; elles me surveillaient et me souriaient de toutes leurs dents et ces sourires me mettaient en colère. J’ai réalisé que les battements de tambour semblaient un peu plus rapides et mon cœur semblait battre très fort. J’avais des bouffées de chaleur, j’étais en colère à cause de leurs sourires idiots. Soudain, je me suis senti furieusement en colère, j’ai voulu me dégager de la chaise, j’ai tiré sur les liens et je les aurais frappées, mais dès que j’ai commencé à m’agiter, elles ont changé le rythme et ma colère s’est dissipée.11
J’ai trouvé ces vers dans le livre [ndlt : des ombres] d’une sorcière. Le propriétaire qui les a recopiés ne se souvenait plus de leur provenance, s’ils étaient anciens ou modernes, s’ils avaient été écrits par quelqu’un qui a vu la danse ou qui possède simplement une vive imagination. Je vous les livre avec toute ma reconnaissance pour l’auteur inconnu12 et mes félicitations pour cette belle description ou imagination :
Twilight is over, and the noon of night
Draws to its zenith, as beyond the stream
Dance the wild witches, fair as a dream
In a garden, naked in Diana’s sight,
Flaming Censers on the sweet altar, light
Gleams on the waters, drifting vapours teem,
Laughter and swaying white shoulders gleam.
Oh joy and wonder at their lovely sight !Le crépuscule a pris fin, et la mi-nuit
est à son zénith, alors qu’au-delà du ruisseau
Dansent les sorcières sauvages, belles comme un rêve
Dans un jardin, nues à la vue de Diane,
Les flamboyants encensoirs sur le bel autel, reflètent
leurs lumières sur les eaux, où flottent d’abondantes vapeurs,
Les rires éclatent et brillent les blanches épaules oscillantes.
Oh joie et émerveillement devant leur beau spectacle !
L’auteur ne croit manifestement pas à la fable selon laquelle les sorcières sont vieilles et ignobles.13
L’une des lois de la Wica stipule qu’il est interdit de gagner de l’argent avec la religion…14
Il [Gardner] connaissait autant d’hommes que de femmes chez les sorcières. L’autre sorcière venait d’un bord légèrement différent.
La sorcellerie était plus ancienne et bien plus sensée que la magie pratiquée au Moyen-Âge. Voler sur un balai était une blague « aux dépens des étrangers15 crédules ». Avec une assurance indéniable et sans équivoque qui rappelle la propre phraséologie de Gardner et sa façon de traiter le sujet dans ses livres, cette sorcière termine ainsi : « Nos rites anciens sont peut-être simples, rudimentaires et primitifs, mais ils n’ont rien de mauvais et peut-être qu’ils fonctionnent parce qu’ils sont simples. Signé : UNE SORCIÈRE. »
C’est sans aucun doute ces déclarations catégoriques, faites par les sorcières qui l’ont initié, qui ont tout d’abord impressionné Gardner, de par leur sincérité. En même temps, il n’est pas difficile de comprendre que l’assurance sans équivoque des déclarations de ces sorcières a eu pour effet de rendre uniques les œuvres de Gardner. Il se devait de conserver ex cathedra l’assurance de ses informatrices avec le respect que nécessite ce type de matériau de recherche. En parallèle, son approche académique l’a contraint à théoriser les méthodes et moyens par lesquels parvenir à de telles déclarations. Dans Witchcraft Today et The Meaning of Witchcraft abondent de ce qui pourrait être considéré comme des sophismes par ceux ne se rendant pas compte qu’il avait affaire à un matériau inhabituellement empathique.16
Une fois qu’il a été établi que la sorcellerie telle qu’elle est connue et pratiquée par l’organisation appelée la Wica, est une religion, et non un culte mené par des excentriques, sans but lucratif, la question de son nom s’est naturellement posée. Pourquoi, ont demandé certains sympathisants, ne pas échapper à la mauvaise publicité en changeant de nom ? Selon les explications de Gardner, la Wica (les sages) était un mot anglo-saxon, probablement donné aux adeptes du culte par les immigrés germaniques, relativement nouveaux, qui venaient d’outre-Manche. Mais des aspects psychologiques rendent un tel changement aujourd’hui peu probable. Tout d’abord, le nom est établi : on ne peut pas changer de nom, pas plus qu’on ne change de monture au milieu du gué.
Ensuite, il existe une conscience identitaire, un sentiment de parenté avec les neuf millions de personnes tuées durant la persécution des sorcières du passé. Ces événements font partie de l’héritage de l’Art. Si la Wica n’a pas de théologie [écrite] et a peu de hiérarchie, elle possède une tradition. Et le simple fait qu’on s’oppose à elle, qu’il s’agisse des alarmistes de la presse, de l’Église ou qui que ce soit d’autre, ne saurait être considéré comme un motif qui justifierait un changement. C’est pourquoi les sorcières sont restées des sorcières.17
1 GGW 175-176
2 GGW 185
3 GGW 193
4 Gardner 2 97
5 Gardner 2 124
6 GGW 140
7 Gardner 2 142
8 Gardner 2 150
9 Gardner 2 180
10 Ndlt : « follow-my-leader » dans le texte ou jeu de l’imitation, qui est un jeu pour les enfants. Un enfant est désigné comme le chef et un groupe d’enfants se place derrière lui en file indienne et doit imiter chaque geste de ce chef de file.
11 Gardner 1 141-142
12 Ndlt : Le début du poème est d’Aleister Crowley. Il a subi des modifications. Voici la version intégrale de « By the Cam », extrait de Songs of the Spirit par Crowley, publié en 1898.
BY THE CAM
Twilight is over, and the noon of night
Draws to its zenith. Here beyond the stream
Dance the wild witches that dispel my dream
Of gardens naked in Diana’s sight.
Foul censers, altars desecrated, blight
The corpse-lit river, whose dank vapours teem
Heavy and horrible, a deadly steam
Of murder’s black intolerable might.The stagnant pools rejoice ; the human feast
Revels at height ; the sacrament is come;
God wakes no lightning in the broken East;
His awful thunders listen and are dumb;
Earth gapes not for that sin ; the skies renew
At break of day their vestiture of blue.
Notez que le texte original possède des rimes, je n’ai pas cherché à les reproduire à la traduction.
13 Gardner 1 143
14 GGW 195
15 Ndlt : Personnes extérieures à la Wica, non-sorcières.
16 GGW 198-199
17 GGW 203
Photo d’entête : Doreen Valiente devant ce qui reste de l’arbre nommé « the naked man » dans la New Forest, en Angleterre.