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Par Vivianne Crowley, traduction & adaptation : Lune.
Le texte original est disponible à cette adresse : https://www.patheos.com/blogs/viviannecrowley/2014/11/every-man-and-woman-is-a-star/
Si l’on vous demandait : « quel est le point commun entre Aleister Crowley, Gerald Gardner, Dion Fortune, Doreen Valiente, Kenneth Grant et Margot Adler ? », vous pourriez répondre qu’ils étaient tous auteurs ou qu’ils ont tous contribué, de manière significative, au renouveau du paganisme et de l’occultisme. On pourrait également répondre qu’ils ont tous cité Carl Jung dans leurs œuvres. Pourquoi Jung et en quoi leur paraissait-il si important ?
Aleister Crowley (1875–1947) est né la même année que Jung. Comme lui, il a connu les deux guerres mondiales et les mêmes changements fondamentaux dans la culture et la société occidentales. On pourrait croire qu’entre Thelema et la psychologie analytique il existe tout un monde, mais Crowley a lu Jung très tôt.
En 1919, deux livres l’ont aidé à rédiger « A formidable treatise of some forty-five thousand words ». Le livre de Sir James Frazer, « Le Rameau d’Or », et celui de Carl Jung, « Psychologie de l’inconscient » (Crowley, 1979 ed., p. 809).
Qu’est-ce qui plaisait au grand magicien dans les travaux de Jung ? Crowley n’était pas un adepte de la psychanalyse, mais à la fin de l’année 1916, il rédigeait ceci dans l’édition américaine de Vanity Fair:
Il n’est guère surprenant d’apprendre que le Dr Jung a réfuté certaines conclusions de Freud. Au lieu de relier la volonté au sexe, il a relié le sexe à la volonté. Ainsi, tout à fait inconsciemment, il a ouvert la voie au renouveau de la vieille idée magique selon laquelle la volonté constitue l’aspect dynamique du Soi. Selon les initiés, chaque individu a son propre but défini et prend forme humaine, avec ses avantages et ses inconvénients, de façon à réaliser cet objectif. Cette vérité s’exprime dans le langage magique par cette phrase : ‘chaque homme et chaque femme est une étoile’… (Crowley, 1916.)
TROUVER LE CENTRE
Pour Crowley, les travaux de Jung conduisent aux mêmes conclusions que les siennes : chacun d’entre nous a un but lorsqu’il s’incarne. Crowley parlait de chercher son Vrai Soi ou sa Vraie Volonté. Dans le jargon de Jung, ce but intérieur correspond à « l’individuation », dont le résultat final est de trouver le « Soi ».
J’ai appelé « Soi » cette totalité qui transcende la conscience. Le but du processus d’individuation est la synthèse du Soi.
(Jung, 1940, pp. 164, para. 278)
Pour Jung, le Soi est un moi plus profond :
… une conscience qui n’est plus enfermée dans le monde personnel, étriqué, trop affecté de l’ego, mais qui participe librement au monde plus vaste de l’objectivité (ndlt : le monde des objets). … qui conduit l’individu à une communion indissoluble, obligatoire et absolue avec le monde extérieur.
(Jung, 1916/1928/1934, pp. 178, para. 275)
Il ne s’agit pas du « je » quotidien que nous voyons dans le miroir chaque matin. Il ne s’agit pas du produit de cette incarnation, bien que cette incarnation y contribue. Il s’agit plutôt du « Soi » que la philosophie indienne nomme « Ātman », le centre le plus profond et persistant de nous-mêmes.
Le processus pour atteindre le Soi implique un déplacement de la position centrale de l’ego en direction du Soi. Ceci se produit lorsque nous nous ouvrons à ces parties de notre psyché cachées et inconnues. Nous commençons par ressentir cet élargissement de la conscience dans le monde du sommeil et des rêves. Nous pouvons également y accéder par la méditation, la visualisation, les méditations guidées et les rituels. Bien sûr, ce sont toutes des pratiques utilisées dans la plupart des paganismes.
ACCEPTER « L’AUTRE »
Le voyage vers l’extérieur, pour nouer un dialogue avec la Nature, les Dieux, la Déesse, débute inévitablement par l’ouverture sur notre paysage intérieur, le monde magique au sein de notre propre inconscient. S’il est bien géré, ce processus nous conduit non seulement à l’ouverture, mais aussi à l’intégration. L’acceptation des aspects de notre psyché que nous percevions tout d’abord comme « autres », comme « ce qui n’est pas moi », et qui, en réalité, font partie intégrante de notre être. Ces aspects comprennent « l’obscurité intérieure », l’ombre qui est la face négative de notre personnalité et que nous préférons rejeter, ainsi que le genre qui n’est pas celui de notre vie quotidienne (ndlt : ici, il est question des concepts d’animus et d’anima). Le processus de cet éveil, de cet épanouissement, de cette acceptation et de cette intégration de « l’altérité » afin de créer un nouveau centre qui permet l’accès à la totalité de notre être correspond à ce que Jung appelait « individuation ».
La voie de l’individuation signifie : tendre à devenir un être réellement « individuel » et, dans la mesure où nous entendons par « individualité » la forme de notre unicité la plus intime, notre unicité dernière et irrévocable, il s’agit de la réalisation de son Soi, dans ce qu’il a de plus personnel et de plus rebelle à toute comparaison. On pourrait donc traduire le mot « d’individuation » par « réalisation de soi-même », « réalisation de son Soi »*…
(Jung, 1916/1928/1934, pp. 173, para. 266)
De nombreux chemins mènent à la réalisation de ce changement intérieur. La plupart des changements psychologiques et spirituels passent par les « initiations » de la vie quotidienne, à mesure que nous mûrissons, devenons adultes et apprenons à assumer la responsabilité d’autrui. Mais une vie magique et spirituelle active peut accélérer ce processus : à la condition que nous nous accordions du temps pour une vie spirituelle. Cela signifie se donner du temps pour communier avec notre monde intérieur, notre psyché la plus profonde, source de vision et d’inspiration. Les rituels, les méditations, la pratique artistique, l’écriture créative : tout cela constitue des voies vers l’inconscient et l’inconscient est une porte qui donne sur l’inconscient collectif de toute l’humanité. Qu’est-ce que « l’inconscient collectif » ? Nous l’envisageons comme une « zone intemporelle », un état de conscience au-delà du temps et de l’espace, au-delà du corps et de notre incarnation actuelle. C’est un état de conscience que nous apercevons, que nous perdons, puis que nous entrevoyons à nouveau. Certaines pratiques au sein du Paganisme (invocation, méditation, contemplation, voyage intérieur) peuvent nous aider à l’atteindre.
NOUS SOMMES LE PAGANISME
Ces pionniers spirituels qui ont développé le paganisme tel que nous le pratiquons aujourd’hui ne l’ont pas atteint en postant des commentaires sur les groupes Facebook ni en participant à des débats pour savoir si oui ou non les Dieux sont « réels ». Ils l’ont fait en poursuivant un dialogue avec leur psyché la plus intime. Nous ne sommes pas tous des pionniers du paganisme, destinés à écrire des ouvrages érudits pour les autres ; mais nous sommes des pionniers du paganisme dans le sens où nous faisons partie des premières générations à apprendre à vivre à nouveau en tant que païens et à construire un paganisme qui répond aux besoins des générations à venir. Comment vivre le paganisme ? De quelle façon notre pratique peut-elle ouvrir une voie à l’autoréalisation qui réponde aux besoins de ceux qui sont attirés par le changement spirituel ? Comment pouvons-nous vivre notre paganisme de manière à créer quelque chose de nouveau, de beau et de puissant dans un monde qui changera le monde, ou même de petites parties de celui-ci, pour le meilleur ? Ce sont de grandes questions, mais d’une certaine façon, ce sont celles auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement, dans tous les choix que nous faisons et dans la façon dont nous décidons de mobiliser notre énergie et notre temps.
CRÉER DES CONSTELLATIONS
Aucune tradition spirituelle ne peut progresser plus vite que les individus qui l’incarnent, ainsi nous avons ce qui se fait de mieux pour notre temps, où que nous nous situions aujourd’hui. Si nous voulons que le paganisme évolue et s’épanouisse, nous devons créer en nous-mêmes une communion avec les Dieux et avec notre psyché profonde qui est transformatrice et qui peut inspirer autrui. Tout ceci nécessite du temps, du temps intérieur. Nous ne pouvons pas le faire simplement en écrivant là-dessus, en encourageant les autres, en créant des organisations, des formations : toutes ces actions sont importantes, mais elles ne seront authentiques et durables uniquement si elles s’appuient sur une véritable expérience spirituelle. Nous ne pouvons pas nous contenter d’expériences de deuxième main, bien que les expériences d’autres personnes peuvent nous inspirer. Chacun d’entre nous doit se créer du temps et de l’espace pour transformer ce qui est en nous. Chaque homme et chaque femme est une étoile. Et pour créer un nouveau paganisme, nous avons besoin de constellations : des individus en lien avec leur Soi véritable et authentique, qui œuvrent en harmonie les uns avec les autres. Et cela n’est possible que si nous commençons par créer l’harmonie en nous-mêmes.
C’est le défi auquel doit faire face chacun d’entre nous.
SOURCES
- Crowley, A. (1916, December). An improvement on psycho-analysis: The Psychology of the Unconscious – for dinner-table consumption. Vanity Fair , pp. 55, 134.
- Crowley, A. (1979 ed.). The Confessions of Aleister Crowley: An Autohagiography (2nd edition. First published 1969 ed.). (J. Symonds, & K. Grant, Eds.) London, Boston and Henley: Routledge & Kegan Paul.
- Jung, C. G. (1940). The psychology of the child archetype. In C. G. Jung (1968 ed.), The Collected Works of C. G. Jung, Vol. 9, part 1, Archetypes and the collective unconscious (pp. 151-181). London: Routledge & Kegan Paul.
- Jung, C. G. (1916/1928/1934). The relations between the ego and the unconscious; part 2: Individuation. In C. G. Jung (1966 ed.), The Collected works of C. G. Jung, Vol. 7, Two essays on analytical psychology (pp. 173-241). London: Routledge & Kegan Paul.
* Traduction extraite du livre « Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient », Folio Essais, 2001, p. 115.